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Les végétariens? Plus qu’une communauté, un véritable mouvement d’idées

La Veggie Pride

L’internaute Thibaut Buiron livre sa position au sujet de la dernière publicité d’Aoste, qui caricature une famille végétarienne, et dont certains demandent la suppression.

>> Revoir la publicité Aoste caricaturant une famille végétarienne

Je ne regarde que très peu la télévision. La dernière publicité pour le jambon Aoste, je suis donc tombé dessus sur le net, et non loin il y avait une pétition pour réclamer sa suppression, au motif de son caractère diffamatoire envers la « communauté végétarienne »

J’ai un peu de mal avec la notion de « communauté végétarienne ». Je pense qu’avant d’être une communauté, nous sommes d’abord un mouvement politique, le mouvement de libération animale.

Bien sûr, dès lors que nous nous réunissons pour partager nos centres d’intérêts, nous pouvons nous considérer comme une communauté de facto, mais c’est avant tout, je crois, la volonté d’une évolution de la société qui nous motive – et ce qui fait l’essence politique de notre mouvement.

Nous avons choisi de sortir de la majorité et de lui faire face

C’est notre position quant à un sujet de dissenssion (est-il moral d’exploiter les animaux ? dans quelle mesure ?…) et les choix de vie qui en découlent, qui nous définissent par rapport à l’ensemble des individus.

C’est une philosophie de vie que la plupart d’entre nous, personnes végétariennes ou véganes, avons choisie et ce même si ce choix s’est imposé comme une impérieuse nécessité. Même quand il nous paraît techniquement impossible de revenir sur nos convictions, nous avons choisi de sortir de la majorité et de lui faire face.

Dès que nous avons renoncé à la viande, nous avons décidé que le respect de la vie des êtres que nous reconnaissons comme sensibles prévalait largement sur le souci d’éviter les railleries, voire l’exclusion (nous ne l’aurions pas fait sinon, et c’est d’ailleurs souvent ce qui nous maintient, un premier temps, dans l’hésitation).

La conduite que nous tenons en tant qu’adultes responsables découle d’un choix réfléchi et ne nous est pas imposée par notre naissance; je pense d’ailleurs que même celui qui a grandi avec le végétarisme dès le plus jeune âge aura toujours le choix, l’âge adulte venu, de rester ou non végétarien.

Ce n’est pas le cas des membres de communautés ethniques ou religieuses, qui n’ont pas de possibilité de se séparer totalement de leur communauté d’origine (ou difficilement dans le cas des communautés religieuses, car si l’on peut se convertir et alors entrer dans une nouvelle communauté, ou plus simplement laisser de côté la foi et devenir athée, on ne se débarrasse jamais de sa filiation religieuse.)

Aussi, réagir avec une pétition mentionnant le fait de nous sentir offensés en tant que membres de la communauté végétarienne ne me convient pas.

La force de nos convictions se mesure dans l’exclusion qu’on nous impose

Quand le mouvement socialiste serait tourné en ridicule par le mouvement libéral, ou inversement, porterait-il une plainte devant les autorités pour diffamation ? Je pense qu’il aurait plutôt intérêt à ne pas le faire et à se défendre en s’efforçant de prouver le caractère infondé de la moquerie.

La force de nos convictions se mesure dans l’exclusion qu’on nous impose. Si nous n’avons pas à nous excuser de ce que nous sommes, quand nous avons choisi l’opposition, nous n’avons pas non plus à nous plaindre de ce que d’autres en pensent.

Je comprends le caractère choquant de ce spot : le mot « végétarien » est d’autant plus fortement associé au stéréotype ici présenté, des babas-cool marginaux auquel le consommateur moyen ne peut pas s’identifier (nous ne le pourrions pas nous-mêmes pour la plupart !) que son évocation dans l’espace publicitaire est exceptionnelle.

Quelque part, cette simple évocation du terme « végétarien » est une façon de catégoriser un type d’individu, donc de refonder dans l’imaginaire collectif la base d’une communauté qui sera dépeinte selon l’objectif des publicitaires: marginale et réfractaire à la modernité. Il est donc normal de nous sentir offensés, attaqués, voire diffamés.

Un bon marqueur de la progression du mouvement

J’irais même plus loin : je pense moi aussi que nous sommes ici l’objet d’une tentative réelle de diffamation, dans une certaine mesure, face à la prise de poids médiatique du végétarisme en tant que perspective de santé, d’environnement et des questionnements éthiques autour des droits des animaux non humains. C’est même probablement un bon marqueur de la progression du mouvement.

Mais avant d’attaquer une partie pour diffamation, encore faut-il être en mesure d’établir et d’appuyer objectivement le caractère diffamatoire de l’offense. Une plainte adressée à l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité doit impérativement, pour être entendue et donner suite, se fonder sur la constatation solide d’un non-respect des règles déontologiques, lesquelles ont été définies au préalable par cette autorité. Consultez ces règles, et vous observerez qu’aucune n’a été enfreinte.

Comprenez qu’une telle autorité n’est pas acquise à notre cause. Je ne crois pas que 10.000 signatures stopperont une campagne publicitaire, qui de toute façon ne ciblait évidemment pas les 10.000 signataires !

Lorsque nous faisons face à une telle sorte d’attaque, nous devrions la réobserver avec les yeux de la majorité, les yeux d’omnivores que nous étions auparavant, quand nous l’avons été.

Nous avons cette capacité de comprendre à la fois le carnisme, le végétarisme, et le véganisme, et nous devons l’exercer, car bien connaître son opposant est un avantage quand on lui fait face. Demandons-nous donc avec un regard neutre : ces personnages marginaux sont-ils antipathiques pour autant ? Non. Sont-ils intolérants, sectaires ? Non, ou du moins pas dans l’absolu, puisqu’ils consentent au besoin de découverte de leur fils sans le stigmatiser.

Nous devrions relativiser le caractère offensant de cette annonce publicitaire

Nous ne prêtons à ces personnages que le tort d’être réfractaires au style de vie moderne ordinaire – remarquez par ailleurs la contradiction que cela pose quand on exige l’esprit d’ouverture !

D’ailleurs, il nous suffit d’imaginer une publicité pour un produit végane dans laquelle un famille ordinaire consommant de grandes quantités de viande devrait faire face au désir de leur adolescent de manger autre chose. Ils consentiraient alors avec bienveillance à lui faire goûter un steak végétal ou je ne sais quelle délicieuse préparation végane qui lui mettrait la larme à l’oeil. Pensez-vous qu’une telle publicité serait suivie d’une vague d’indignation et d’un appel à la suppression ?

Nous devrions relativiser le caractère offensant de cette annonce publicitaire, qui ne relève au plus que de la végéphobie ordinaire. Notre mouvement n’a pas été insulté, il a simplement été caricaturé. Ne tombons pas dans l’intégrisme, ne renforçons pas la tendance aux amalgames !

Montrons-nous au contraire sous notre meilleur jour, imposons-nous comme l’exemple : modernes, cohérents, sportifs (aux sens physique et philosophique), bien dans notre corps, dans notre tête et notre assiette, comme nous le faisons tous les jours, bannissons l’agressivité de notre attitude. Cela n’implique pas de rester parfaitement indifférent à une telle sorte d’attaque, par laquelle je me suis aussi senti visé, je le répète.

PARTAGEONS NOS LECTURES ET NOS RÉFLEXIONS, NOTRE FAÇON DE VIVRE ET NOS ASTUCES

Mais il me semble plus efficace de pointer l’évidence de ses contradictions : le fait que nous soyons intégrés et modernes, et non forcément isolés ou archaïques; le fait que notre cuisine soit savoureuse et variée, et non monotone et insipide ; le fait que nos parents non plus ne nous ont pas demandé si nous voulions manger de la viande et nous ont eux-aussi endoctrinés à leur façon. Continuons de lever le voile sur l’abjection de l’élevage industriel, comme le font les associations, comme l’a fait cette vidéo montée sur la publicité en question.

Partageons nos lectures et nos réflexions, notre façon de vivre et nos astuces.

Partageons nos lectures et nos réflexions, notre façon de vivre et nos astuces. S’il est si évident que nous ne ressemblons pas à une communauté de marginaux, il nous sera facile de le prouver, en nous épargnant une démarche conflictuelle. C’est le principe que je cherche à appliquer en permanence.

Le mouvement de libération animale nait et s’étend au sein de la société, et non en dehors d’elle. Il ne la conquiert pas en s’opposant à elle par des attaques frontales.

Je ne parle pas ici des actions radicales et concrètes menées par des groupes militants comme l’ALF ou Sea Shepherd, ni des actions militantes de sensibilisation, qui ont justement un importance cruciale dans le mouvement, mais des réactions groupées de colère qui n’ont d’autre effet que de creuser le fossé d’incompréhension qui existe entre notre mouvement et le reste de nos semblables, et de nous réduire à une communauté… de marginaux.

Nous sommes bien mieux qu’une communauté, nous sommes un mouvement d’idées. Je crois à la force de ces idées et au pouvoir de la raison. Appliquons-nous à vivre en société au contact de nos proches, selon nos propres principes : nous n’en sortirons que grandis et plus nombreux.

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Thibaut Buiron

Pharmacien

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