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Devenir végan ne fait de personne un sale type

Ce texte, initialement publié sur le blog Libex, est une réaction à certains passages de l’article publié sur Vice «Devenir végan a fait de moi un sale type», dans lequel l’auteur explique pourquoi le véganisme a selon lui fait empirer sa vie.

Hier, sur le site de Vice, un article est paru sous le titre «Devenir végan a fait de moi un sale type». On commence avec le chapô, «Après plusieurs tentatives infructueuses, je suis arrivé à la conclusion que cela ne faisait qu’empirer ma vie»

Rien qu’avec cette phrase, je bloque. Devenir végan implique généralement une vision anti-spéciste du monde, une façon de penser, où l’exclusion de la souffrance animale est un credo. C’est montrer de l’empathie pour les êtres sensibles et agir en cohérence avec celle-ci. Arriver à dire qu’en étant végan, on empire sa vie, cela peut être vu comme un égoïsme difficile à tenir – on en revient à la végéphobie.

D’autant que si, pour éviter la mort et la souffrance d’êtres sensibles, on complique un peu sa vie, j’aurais tendance à dire que c’est plutôt un bon deal.

«Être végan, c’est vraiment lourd»

Sacrée entrée en matière! Je ne nie pas que, dans notre société où le combat contre la souffrance animale est presque exclusivement axé sur les chatons, être végan peut être un peu étrange mais lourd? Franchement, non, il ne faut pas exagérer. Et puis une fois mises en balance les vies qu’on ôte et la notre juste un peu plus «compliquée».

Je trouve encore une fois que même si ça peut être considéré comme lourd pour certaines personnes, le jeu en vaut largement la chandelle. Ce que je trouve plus qu’étrange, c’est que l’auteur du texte nous indique qu’il est végétarien depuis une dizaine d’années, c’est donc qu’il a forcément reçu le même genre de critique sur son végétarisme que celle qu’il donne du véganisme puisque dans beaucoup de familles, il suffit d’arrêter de manger de la viande pour que les repas tournent au pugilat.

«Je suis convaincu qu’à la longue, la nourriture ne peut être par essence qu’une obsession.»

L’auteur semble considérer qu’un végan est forcément obsédé par la nourriture. Oui, c’est vrai qu’on doit tout vérifier, on ne peut rien manger les yeux fermés, que les ingrédients de ce qu’on achète sont scrupuleusement analysés.

Oui, c’est vrai, du moins ça l’est pour moi et pour les végétaliens que je côtoie. Est-ce que c’est pesant? Sincèrement, non. Je ne vais pas dire que c’est une véritable partie de plaisir, mais ce n’est non plus très difficile (et j’habite à 30 minutes du premier magasin bio, ce n’est pas comme si j’avais un accès facilité aux produits végétaux) et surtout, ce n’est qu’accessoire par rapport à la cause que l’on défend. De plus, si c’est le cas au début, passé quelques semaines ou mois, on prend le pli et tout devient plus rapide.

«La nourriture ne peut pas devenir le centre de gravité obsessionnel de notre vie: si vous faites attention à ce que vous mangez, c’est un comportement sain. Si vous y consacrez trop de temps, ça peut vite devenir une pathologie.»

Je ne peux être d’accord avec le fait de lier le véganisme à un quelconque trouble alimentaire. J’ai connu les TCA, de manière parfois assez forte et il n’y a rien, mais alors vraiment rien à voir entre ceux-ci et le véganisme. Y consacrer du temps n’a rien à voir dedans, que l’on y passe cinq minutes ou cinq heures par jour, le temps passé aux fourneaux n’indique en rien un trouble du comportement alimentaire: certaines personnes anorexiques ont si peur des aliments qu’elles ne les touchent même pas tandis que d’autres cuisineront au contraire toute la journée sans pour autant manger le résultat.

Il y a une énorme différence entre refuser de consommer des produits animaux par éthique, pour le bien-être animal et ne pas consommer pour maigrir, par peur des aliments.

De plus, ce n’est obsédant que si on le souhaite. Il existe en effet des végans qui veulent tout tester, essayer des nouveautés à chaque repas, innover sans cesse. Pourquoi pas, s’ils ont l’envie et le temps, c’est très bien. Je cuisine, donc je varie mon alimentation suffisamment pour ne pas que ce soit routinier mais sans chercher l’exubérance dans mon assiette. Et si j’ai envie de manger des petits pains au lait végétal un matin, et bien je prends un peu de temps la veille au soir et ça me suffit. En plus, être végan, ce n’est pas juste une question alimentaire, il est donc difficile de rapprocher ce mouvement des TCA.

«Pour être végan, il faut du temps et de l’argent. Le temps, par exemple, sera consacré à la cuisine, histoire de varier le régime alimentaire qui, autrement, se résumera toujours à du seitan et des burgers de soja. Le temps sera dédié, plus généralement, au shopping et à la conception des repas qui seront inévitablement contrôlés et beaucoup moins spontanés qu’avant. »

J’ai beau partir à 5h du matin de chez moi et rentrer à 19 ou 20h, j’ai le temps de cuisiner et de varier suffisamment mes repas. Je mange une ou deux fois des pâtes par semaine (j’imagine que c’est plus ou moins la moyenne française), un peu de riz parfois mais sinon je jongle sans problème avec gratins de légumes, pommes de terre sautées, tartes en tout genre, soupes, velouté, lentilles sous toutes leurs formes, purées, légumes farcis, raviolis.

Je ne galère plus depuis des années à cuisiner végétalien. Et je peux également prendre une heure ou deux sur mon week-end pour préparer à l’avancer trois ou quatre plats à congeler pour la semaine, les jours où je rentre plus tard que d’habitude. Il faut certes changer quelques unes de nos habitudes mais rien d’insurmontable.

Quant au shopping, j’estime que lorsqu’on devient végan, il y a souvent une envie de diminuer notre impact global sur la Terre: consommer moins – mais mieux – est donc forcément lié. Nul besoin d’aller acheter des vêtements tous les mois. Pourquoi pas même profiter de certains salons végans pour se fournir avec trois tee-shirt et un pantalon?

«Combien de pauses-déj’ j’ai passées à courir de bar en restaurant à la recherche de quelque chose qui va au-delà des panini aux légumes grillés. En plus, être végan coûte de l’argent. Certains diront que non, qu’on peut tout préparer chez soi. C’est faux.»

Je suis jalouse déjà; personnellement au travail je dois amener ma gamelle, préparée la veille ou très tôt le matin.

En ville, c’est facile d’être végan, pour avoir vécu quelques mois à Paris, je l’affirme. A la campagne, c’est plus complexe, c’est vrai, mais encore une fois, si un peu d’efforts sont nécessaires au début, on prend très vite de nouvelles habitudes non contraignantes.

La demande fait l’offre: plus nous serons nombreuses à être végétariens ou végans, plus l’offre sera grande. Pour l’instant, à part quelques restaurants comme Tien Hiang à Paris, c’est vrai que les prix sont souvent trop élevés.

Néanmoins, c’est un choix et non une obligation de manger au restaurant; je suis heureuse de commencer à avoir une offre plus large qu’avant mais cela ne m’oblige en rien à aller faire le tour des restaurants végans et d’y laisser un quart de salaire.

«Pareil pour les fringues cruelty free (sans cruauté): les vêtements et les chaussures végans sont souvent laids et coûteux. Moins vous aurez de temps et d’argent et plus le choix du véganisme risque de littéralement vous pourrir la vie.»

Je ne peux être en total désaccord. Pour les chaussures du moins; les vêtements me plaisent généralement. J’ai testé deux paires de chaussures véganes et non seulement esthétiquement je n’ai pas apprécié, mais le confort était tout relatif. Après, j’ai encore une dizaine de paires de chaussures non-véganes, datant d’avant mon véganisme et je compte bien les user jusqu’à la corde, hors de question de les jeter sous prétexte qu’elles sont en cuir, ce serait en désaccord avec ma philosophie de vie, qui est d’utiliser au maximum chacun des produits que j’achète. Je croise donc les doigts pour que d’ici là, les choix en matière de chaussures véganes soient plus larges et esthétiquement plus réussis!

«Évidemment, être végan n’arrange pas votre vie sociale […] Tout devient plus compliqué. Même les grands-parents, vont parfois glisser bien involontairement un aliment prohibé. […] De cette manière, le véganisme produit surtout des fractures entre les gens. »

Cela dépend de ton environnement social! Il est vrai que lorsque j’étudiais en Bourgogne dans ma filière agricole, j’avais souvent à justifier mes choix. Mais j’étais également trop sur le qui-vive, trop sur la défensive, j’avais des arguments purement émotionnels qui provoquaient le ravissement chez mes interlocuteurs et interlocutrices, qui pouvaient ainsi facilement me mettre en rogne.

Cela n’a duré qu’un temps; au bout de quelques mois je me suis apaisée, je me suis construite un stock d’arguments donnés avec le sourire et depuis, tout va bien. Cela fait plus de trois ans que je ne me suis pas pris la tête avec quelqu’un sur mon végétalisme puis mon véganisme. Que ce soit dans mon travail, en soirée, en ville ou à l’étranger, je n’ai plus de problème pour cela.

Mes justifications, lorsque me les demande, sont simples: «Je vis parfaitement sans consommer de produits animaux et en exploitant le moins possible des êtres sensibles. Je ne vois donc pas d’intérêt à recommencer à consommer omnivore.» et ça s’arrête là. Bien sur, il y a la provocation sur les goûts délicieux de la viande, que je suis idiote de me «priver» de tout cela.

Mais cela n’est pas grave, on peut démonter avec le sourire et calmement ces pseudo-arguments et reprendre quelques minutes plus tard un autre sujet.

«J’ai percuté ça récemment en rencontrant une végane qui racontait comment un aperitivo avait failli se finir en tragédie parce qu’elle n’avait pas pu obtenir ce qu’elle voulait. Elle s’est d’abord retournée contre le personnel de l’établissement avant d’incendier ses amis puis de rentrer chez elle (en larmes), fière d’être restée fidèle à la cause.»

Je pense que cela dépend de notre nature et non pas du fait d’être végan. Il m’est arrivé, comme à beaucoup, d’être insatisfaite d’un service au restaurant ou – en tant que végane – de n’avoir rien pu manger un soir puisque aucun plat végétal n’était proposé sur la carte. Je ne l’ai pas mal pris, j’ai plaisanté en disant que je mangerais plus tard chez moi et que j’espérais que d’ici quelques années ils auront au moins des haricots verts et des frites.

Point barre, ça ne sert à rien de se mettre à dos des gens. Et péter des câbles n’est pas l’apanage des végans, j’étais récemment au restaurant avec une personne qui a trouvé intolérable que le serveur fasse déborder son champagne à cause de la mousse. Chacun.e ses priorités disons!

La question de l’inconfort est extrêmement intéressante. Oui, je pense qu’une personne omnivore peut ressentir un inconfort face à un végan. J’en faisais parti. Je ne comprenais pas, je les trouvais ces personnes intolérantes et j’étais assez choquée de leur manière de parler des omnivores. Malgré tout, une fois que je me suis intéressée à leurs motivations, j’ai compris les bases de ce mode de pensée, de vie et j’ai songé qu’ils n’avaient peut-être pas tort.

J’ai beaucoup de personnes de mon entourage qui m’ont appris, qu’après une réaction de recul au début de mon véganisme, qu’ils s’étaient intéressés à celui-ci. Et presque toutes ont réduit voire cessé leur consommation de viande, ce qui est un net progrès à mes yeux.

Cet inconfort est à mon sens le premier pas vers une prise de conscience de notre impact sur l’environnement, de la pression que subit la planète et les animaux par notre faute. Sans cet inconfort, personne n’aurait de raison de changer d’alimentation, de vie.


Bilan

Je comprends ce qu’indique l’auteur sur plusieurs points, notamment la frustration qu’il évoque pendant ces tentatives de passage au véganisme. J’admire d’ailleurs sa persévérance, quoi qu’on puisse penser de ce j’ai écrit précédemment.

La plupart des gens abandonnent rapidement, persuadés qu’ils n’y arriveront jamais et que de toute façon, ce n’est pas une personne de plus ou de moins qui changera quelque chose pour les animaux.

Pour reprendre mon parcours, une fois la viande arrêtée, j’ai tenté, deux mois plus tard, de devenir végétalienne directement.

J’ai abandonné au bout d’une semaine: j’avais vécu ces quelques jours comme une véritable frustration. J’étais honteuse de ne pas arriver à manger végétalien, j’étais frustrée de voir les plats que je mangeais encore une semaine avant m’échapper, je n’y arrivais pas.

J’étais en colère contre moi-même, j’avais un réel sentiment d’échec et je ne comprenais pas pourquoi je n’y arrivais pas. Chaque plat qui m’échappait, que je ne pouvais plus manger était une rancoeur, un grief contre moi et contre les personnes qui préparaient ces repas. Je n’arrivais pas moi-même à cuisiner autre chose que des pâtes et sincèrement, je garde un très mauvais souvenir de cette semaine d’essai au végétalisme. J’ai donc repris au bout de quelques jours une alimentation pesco-végétarienne. jusqu’à six mois plus tard, où du jour au lendemain je suis passée à une alimentation végétalienne.

Pas de frustration = pas de difficulté

Que s’était-il passé durant ces mois, pour que j’arrive à changer d’alimentation aussi sereinement?Je pense que cela tient beaucoup à une meilleure compréhension du monde, ou si elle n’est peut-être pas meilleure, différente. L’image employée ci-avant par l’auteur, concernant l’impression d’avancer à contre-courant est très juste. C’était en effet ce que j’avais ressenti lors de ma première tentative. En revanche, après ces quelques mois, où j’avais continué à lire sur le végétalisme, à penser la condition animale, à réfléchir sur ma cohérence. J’étais réellement prête à passer le cap.

Se convaincre de l’utilité de ses choix

En réalité, en regardant désormais en arrière, je peux affirmer que si j’ai échoué à ma première transition, c’est parce que je n’étais pas convaincue de l’utilité de mes choix. J’ai toujours eu horreur d’agir sans comprendre, c’est quelque chose qui me bloque totalement. En l’occurrence, j’avais voulu changer parce que j’admirais des gens qui étaient végétaliens ou végans et que je sentais que c’était juste. Néanmoins, je ne l’avais suffisamment compris, pas encore assimilé. C’était juste un essai pour «faire comme», rien à voir avec une conviction profonde, avec une vision différente de la vie comme j’en ai désormais.

Je parle bien sur de mon cas personnel, je ne pense que ça marche ainsi pour tout le monde mais il est probable que je ne sois pas seule à avoir raisonner ainsi.

Ainsi le titre de l’article de Vice me chiffonne fortement. Je suis toujours intéressée par les arguments que l’on peut faire contre le véganisme puisque cela me remet sans cesse en question et me force à réfléchir sur mes actes. Néanmoins, je ne pense que mettre en relation véganisme et façon d’être, façon d’agir (en l’occurrence, comme un «sale type») soit percutant.

Ce n’est pas le fait de se mettre à défendre une cause qui fait changer notre caractère. Il y aura des gens plus ou moins engagés, militants, critiques. Mais ce n’est pas la cause qui nous fait changer. Je pense que c’est un tout, c’est une manière globale d’agir et non un changement causé par notre engagement.

Ne pas se fermer aux autres

Pour éviter de s’enfermer dans des doctrines, il me semble important de ne pas se fermer aux autres façons de penser que la notre: si on ne côtoie que des personnes qui pensent comme nous, il est évident que nous aurons des connaissances lacunaires.

Il n’y a qu’avec la confrontation via des opinions différents des nôtres qu’on arrive à se forger de véritables connaissances et avis. Plus on côtoiera des groupes de gens pensant différemment, plus notre véganisme sera facile à vivre – aussi étrange que cela puisse paraître. Si on ne vit qu’entre VG, il est évident qu’en sortant de cette bulle, tout rencontre avec une personne omnivore qui ne s’intéresse pas à la cause animale sera mal vécue.

En revanche, si on échange nos points de vue en permanence avec des gens de tous bords, il sera plus simple de réagir ensuite. Cela ne veut pas dire ne pas chercher à faire changer les choses, cela signifie simplement ne pas se complaire entre végans, entre «gens biens» pour en arriver à mépriser toutes celles et ceux qui ne pensent pas comme «nous».

Ainsi, les changements alimentaires sont bien plus faciles à entamer et, surtout, à perpétuer.

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L'Akène Libex

Amoureuse (de gens - beaucoup - et d'idées - plein), végane mais pas relou pour autant, décroissante et jardinière. J'écris sur http://libex.org

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