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Matthieu Ricard: « La consommation de produits animaux est une incohérence éthique »

Matthieu Ricard

EXCLUSIF – Après « Plaidoyer pour l’altruisme », Matthieu Ricard sort son « Plaidoyer pour les animaux ». Un ouvrage majeur où ce proche du Dalaï-lama expose ses arguments pour défendre les animaux de l’exploitation humaine. La rédaction de Vegemag l’a rencontré.

Votre nouveau livre s’intéresse donc à la condition des animaux dans le monde…

C’est une continuation logique de « Plaidoyer pour l’altruisme ». Mon but avec ce premier livre était de montrer que l’altruisme véritable existe et qu’il est possible et nécessaire de le cultiver. J’avais dénoncé la façon dont on transforme les animaux en objet de consommation, et je voulais en dire plus. Mais le livre était déjà très volumineux. C’est pourquoi j’ai décidé de faire un essai séparé.

Que est votre objectif?

J’espère attirer l’attention sur cette incohérence éthique qu’est la consommation de produits animaux. Nous avons aboli l’esclavage, et officiellement la torture. Pourtant nous continuons à faire souffrir les animaux. Il y a cette idée que tout être vivant et sensible souhaite éviter la souffrance. C’est légitime car vivre au prix de la souffrance des autres, n’est pas une valeur éthique.

L’Humanité aurait-elle vraiment à y gagner en cessant de consommer des produits animaux?

La consommation des produits animaux est tout d’abord néfaste pour les animaux. Près de 60 milliards terrestres et 1.000 milliards animaux marins meurent chaque année pour notre usage, dans des souffrances abominables.

C’est aussi mauvais pour l’environnement puisque l’élevage représente 15% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Contrairement à ce que l’on peut croire, ce n’est même pas bon pour notre santé. On a besoin de protéines, mais il y en a seulement 20% dans la viande. Certains produits dérivés du soja en contiennent 30%. Surtout, certaines études épidémiologiques ont révélé que les végétariens sont moins touchés par le cancer.

Bref, tout le monde y perd. Il n’est pas nécessaire de consommer des produits d’origine animale pour vivre, et nous devons réduire notre consommation de viande de façon considérable.

Les gens sont capables de s’indigner sur le sort d’un chaton maltraité, tout en continuant à consommer de la viande…

Le même jour que le petit chat Oscar a été balancé contre un mur, 500.000 animaux ont été tués dans les abattoirs. C’est disproportionné.

Se mobiliser pour les animaux est très louable. Mais il y a une incohérence éthique au fait de continuer à manger de la viande si on veut soutenir les animaux. La vie d’un chien ne vaut pas plus que celle d’un cochon. Tous les jours, nous sommes pris dans notre propre contradiction. Notre compassion ne doit pas s’arrêter au bord de l’assiette.

Devons-nous dire aux enfants ce qu’est réellement la viande?

On ne peut pas cacher à des enfants le fait qu’on les élève au prix de la souffrance des autres. C’est malhonnête et éthiquement contestable. Nous avons un devoir de transparence. De très nombreux enfants ont refusé de manger du cochon après avoir vu le film « Babe ».

Quelle est la meilleure façon, selon vous, de convaincre une personne à cesser de consommer de la viande?

Je pense que le plus efficace est de se rendre compte soi-même de ce que nous faisons endurer aux animaux. Mais le problème est qu’il est très difficile d’entrer dans des abattoirs, toujours très sécurisés.

J’ai un ami tibétain qui habite à 4.000 mètres d’altitude. Un jour, en Inde, il a commandé du poulet. Lorsqu’il a décidé d’aller se laver les mains dans la basse-cour, il a vu un homme tuer violemment un poulet. Confronté à cette vision insoutenable, il a cessé d’en consommer.

Vous trouvez que les choses évoluent dans le bon sens?

Oui, il y a désormais autant de végétariens que de chasseurs en France, même si nous sommes moins organisés qu’eux. Aux Etats-Unis, 20% des étudiants se considèrent végétariens.

Aujourd’hui, nous avons accès à des documentaires sérieux comme ce film, « Terriens » (« Earthlings ») qui permet de s’interroger sur les souffrances que nous faisons subir aux animaux.

Nous avons le devoir de ne pas ignorer la réalité. Il ne faut pas détourner le regard quand nous voyons des images qui évoquent la souffrance animale pour pouvoir nous faire un jugement. Chacun doit pouvoir décider en son âme et conscience.

Nous devons savoir ce qu’est réellement la viande, d’où elle vient, et comment nous traitons les animaux. Nous devons aussi comprendre qu’il y a une grande incohérence à aimer un chien ou un chat, tout en portant le cuir des vaches.

L’incohérence n’est jamais un état satisfaisant. Et nous ne pouvons pas rester dans cette situation si nous voulons aller vers un progrès de civilisation. Gandhi avait raison lorsqu’il disait qu’ «on peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités.»

Message de Matthieu Ricard aux lecteurs de Vegemag

« Plaidoyer pour les animaux » (Editions Allary), 20,90 euros

Présentation : Nous tuons chaque année 60 milliards d’animaux terrestres et 1.000 milliards d’animaux marins pour notre consommation. Un massacre inégalé dans l’histoire de l’Humanité qui pose un défi éthique majeur et nuit à nos sociétés : cette surconsommation aggrave la faim dans le monde, provoque des déséquilibres écologiques, est mauvaise pour notre santé. En plus de l’alimentation, nous instrumentalisons aussi les animaux pour des raisons purement vénales (trafic de la faune sauvage), pour la recherche scientifique ou par simple divertissement (corridas, cirques, zoos). Et si le temps était venu de les considérer non plus comme des êtres inférieurs mais comme nos « concitoyens » sur cette terre ? Nous vivons dans un monde interdépendant où le sort de chaque être, quel qu’il soit, est intimement lié à celui des autres. Il ne s’agit pas de s’occuper que des animaux mais aussi des animaux. Cet essai lumineux met à la portée de tous les connaissances actuelles sur les animaux, et sur la façon dont nous les traitons. Une invitation à changer nos comportements et nos mentalités.

Plaidoyer pour les animaux

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Cédric Garrofé

Journaliste et fondateur de Vegemag, il s'intéresse à la cause animale depuis près de 15 ans. Il a remporté le Prix Suva des Médias en 2018 et un Online Journalism Awards en 2017 avec la rédaction du média «Le Temps».