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Infiltrée dans des labos, elle raconte le calvaire des animaux

Audrey Jougla s’est infiltrée pendant près d’un an dans des laboratoires français, dans le cadre de ses recherches en éthique animale, pour comprendre la réalité de l’expérimentation animale. Elle raconte son enquête édifiante dans Profession : Animal de laboratoire

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Pourquoi cette enquête?

La cause animale m’interpelle depuis très longtemps. Je savais déjà qu’il était très difficile de visiter des laboratoires. C’est un milieu très opaque. Je me posais des questions…

Je voulais aussi voir si ce que disent les associations à ce sujet, les images qu’on voit circuler sur internet sont réelles.

Enfin, je souhaitais discuter avec les chercheurs pour comprendre leur motivation à faire ce qu’ils font.

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C’est dur de rentrer dans des labos?

Oui, c’est très compliqué. Notamment d’approcher les animaux de laboratoire. C’est un milieu très fermé. Ils ont conscience que le grand public n’est pas favorable à ça, et que les médias peuvent faire des enregistrements.

J’ai réussi car je préparais un mémoire de recherche en éthique animale. Cela m’a pris vraiment beaucoup de temps.

Concrètement, qu’avez-vous vu?

J’ai vu plusieurs expériences de recherche fondamentale et de recherche appliquée. Il y avait des rongeurs, mais aussi des chiens, des chats et des primates….

Que fait-on à ces animaux?

Il y a différents protocoles. Par exemple, on inocule la maladie à l’animal pour essayer de la soigner.

Sinon il y a des protocoles de recherche fondamentale, qui consistent à comprendre comment quelque chose fonctionne (pour schématiser). Par exemple sur la vision. Il y a des expériences très différentes et elles ne visent pas toutes à «guérir les hommes» : les produits d’entretien ménagers, les polluants agricoles, les additifs alimentaires, ou même les armes chimiques sont testés sur les animaux.

Le personnel de ces labos travaille sans arrières pensées?

C’est difficile de dire qu’ils n’ont aucune conscience et qu’ils détestent les animaux. Certains sont très mal à l’aise avec ça. J’ai même envie de dire la plupart.

D’autres sont convaincus que c’est indispensable pour le bien de l’humanité.

Ces arguments reviennent souvent quand on discutent avec eux. Ils estiment être du mauvais côté mais disent qu’ils n’ont pas le choix.

Un moment vous a-t-il particulièrement marqué?

L’une des scènes qui m’a profondément bouleversée, est un acte de rébellion d’un primate.

Alors qu’il doit faire une expérience de vision, bloqué dans sa chaise de contention, il refuse, et fait la seule chose qu’il lui est possible de faire alors: fermer les yeux.

Que ressent-on lorsqu’on voit cela?

Une profonde honte pour notre nature humaine. Alors bien sûr, les chercheurs m’ont expliqué que certaines expériences de la sorte avaient eu des applications concrètes pour la vision humaine. Très bien. Mais en termes de proportion, de quoi parle-t-on?

Combien d’animaux sacrifiés pour combien d’applications concrètes? Et au-delà de cela, ça ne justifiera jamais ces expériences. Moralement, c’est de l’abus de pouvoir sur des êtres que l’on juge «inférieurs»: et l’expérimentation médicale a toujours été pratiquée sur des êtres jugés inférieurs, et non consentants, qu’ils soient humains ou animaux…

C’est l’application de la loi de la jungle, l’exploitation des plus vulnérables, que l’on songe bien à cela. Notre humanité ne se définit-elle pas justement par l’inverse?

N’avez-vous jamais été tenté de sauver des animaux?

Évidemment qu’on y pense. Mais dans la pratique c’est impossible. Ce n’était pas possible pour moi à ce moment-là, et je voulais pouvoir aller le plus loin possible dans l’enquête. J’en fais des rêves récurrents en revanche, où j’ouvrais toutes les cages…

La liberté, je crois que c’est au final vraiment ce qui m’a hanté et qui parcourt toute cette enquête.

Aujourd’hui, comment vous sentez-vous?

J’aimerais vous dire: tout va bien, j’ai tourné la page, je passe à autre chose. Mais ça ne se passe pas comme ça. On y pense régulièrement.

En ce moment même des millions d’animaux sont en sous-sols, prostrés dans des cages, ou en train de subir des expériences. Le sentiment d’impuissance est immense.

Ecrire ce livre était une sorte de thérapie?

Oui, écrire m’a fait beaucoup de bien. On sort de sa solitude pour partager son vécu, et on se rend utile, enfin.

Mais avec la sortie du livre, aujourd’hui, je ne vais pas vous mentir : j’ai simplement peur de la réaction des laboratoires et de toute l’industrie qui tourne autour des expériences sur les animaux.

Quand on connaît leurs enjeux, on ne peut qu’avoir peur.

Et maintenant?

Je vais recommencer à faire des actions, manifester. C’est quelque chose qui me parait très important.

J’ai été très seule pendant toute mon enquête. J’ai envie de m’impliquer encore plus. Pas forcément uniquement sur les animaux de laboratoire mais pour la cause animale dans son ensemble. De l’alimentation à l’habillement, en passant par le divertissement (Marineland, zoos, cirques, corridas…) ou les produits de beauté, la souffrance animale est omniprésente dans notre quotidien. Et notre société l’a rendue invisible.

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Profession animal de laboratoire

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Cédric Garrofé

Journaliste et fondateur de Vegemag, il s'intéresse à la cause animale depuis près de 15 ans. Il a remporté le Prix Suva des Médias en 2018 et un Online Journalism Awards en 2017 avec la rédaction du média «Le Temps».

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